Cher Charles,
J’ai appris hier par voie de presse que, désormais, tu vas manger les pissenlits par la racine. Cela me désole profondément car je dois t’envoyer cette lettre que tu ne recevras pas.Charles, ceci n’est pas ton oraison funèbre. Je laisse cet honneur à ceux, qui, tournant autour de ton tombeau, rendront de toi le témoignage de tes immenses et infinies qualités. On dira comment tu étais juste, bon, patriote, intègre, travailleur et que sais-je encore. Remarque, de ton vivant, ils ne le pensaient pas nécessairement de toi.
Quant à moi, je ne plongerais pas ma plume dans l’encre hypocrite des témoignages posthumes. Je t’envoie donc cette lettre afin de solder en ce moment de séparation les incompréhensions qu’il y avait entre nous. Et comme tu le faisais si bien avec les autres, je vais y aller à la hussarde.
Charles, je goutais peu aux agapes populistes que tu servais aux camerounais via les médias. Oui, le populisme était le terreau fertile sur lequel tu prospérais, servant aux camerounais le discours bien pensant des élites prédatrices, anustocratiques, engoncés dans des pratiques que tu qualifiais de magico-religieuses. Ces pauvres camerounais, responsables de rien, et victimes de tous, étaient les otages des élites prédatrices.
Ménageant la chèvre et le chou, tu pouvais sans ciller soutenir Paul Biya en vouant aux gémonies tous les collaborateurs dont il s’entourait. Pour toi, dieu était bon, il avait simplement eu le malheur de tomber sur des anges venus tout droit de l’enfer.
Tes discours et analyses manquaient de rigueur, se complaisaient dans des affirmations gratuites. Tu as jeté des gens en pâture, des noms à la vindicte populaire, sans que cela se justifie sur le plan de la morale sociale et publique. La cohue médiatique voulait des noms, tu leur en servais au râteau. Le peuple cherchait-il un coupable, plus vite que Lucky Luke, tu en désignais plusieurs.
J’ai lu, par curiosité intellectuelle, certains des ouvrages de ton impressionnante bibliographie. Il faut dire que tu écrivais plus vite que ta plume. Dans « les paradoxes du pays organisateur », je n’ai trouvé qu’un paradoxe ; consubstantiel à la thèse dudit ouvrage. Comment peut-on reprocher à des élites administratives de n’avoir pas développé leur région d’origine. Où, auraient-elles pris l’argent destiné au développement du Sud ? Si la réponse est, dans les caisses de l’Etat, alors c’est un appel à peine voilé aux détournements de deniers publics que par ailleurs tu condamnais. Peut-être pensais-tu à a programmation, en considérant que les investissements publics délaissaient le Sud ? Si c’est ainsi la thèse, il faut dire qu’il ne s’agit pas de détourner des projets destinés à d’autres régions au seul profit de sa région d’origine. Ce serait là, un mauvais signal et la validation de la thèse suivant
laquelle, on est ministre pour son village. On ne peut donc décemment accuser les élites administratives comme tu l’avais fait, sans tomber dans les travers contraires à la morale publique.
J’ai ouï dire qu’à l’annonce de ta disparition, des journalistes ont fondu en larmes. Ces larmes là, sont je le crois sincères. Tu étais un bon client. Truculent, volubile, démonstratif. Les plateaux de télé sont aujourd’hui orphelins d’une voix, d’une présence qui habitait désormais chaque foyer.
Charles, tu pars à un mauvais moment, mais, y a-t-il un bon moment pour partir ?
Le cinquantenaire est passé, et avec lui, la commutation des peines de prison de certains prisonniers personnels de ton cher président.
Toi, si bon client médiatique, docteur en sciences de la communication-il est vrai d’une université centrafricaine-pourquoi n’as-tu pas recommandé au président national de ne pas laisser le terrain médiatique aux partisans d’Atangana. Il s’est contenté de sa maîtrise du pouvoir judiciaire au Cameroun. Aujourd’hui, il y a le tribunal médiatique dont l’influence sur les décisions de justice s’étend progressivement. Il ne s’agit pas simplement de gagner un juge à sa cause, mais de construire des coalitions, dont le répertoire d’action médiatique permet de contraindre la justice à décider conformément à ce que veut l’opinion publique.
En l’occurrence, ce que veut l’opinion publique camerounaise ne compte pas. C’est ce que veut la France qui importe. Son opinion publique, elle au moins est éduquée, raisonnée. Qu’a-t-on à faire de ce que pensent des gens incapables de se choisir un dirigeant
Charles, j’aurais aimé t’entendre sur la réunification. 50 ans que ça dure et deux Cameroun continuent de cohabiter. Où est l’intégration ? Comme dit l’adage, « le Cameroun est bilingue, mais pas les camerounais ». Le système éducatif reste à deux vitesses, chacun obéissant à sa logique. Les normes sociales diffèrent selon que l’on est à Douala ou Buéa.
La camerounité est devenu plurielle, se vivant davantage sur le monde tribal, ethnorégional est villageois. On est d’abord bamiléké avant d’être camerounais. On est Beti, ensuite on est camerounais.
J’imagine que c’est l’unité dans la fragmentation qui a été célébrée.
Charles, j’aurai aimé discuter avec toi, de cette poussière qu’avec bonne conscience nous mettons sous le tapis, discuter de nos héros méconnus et de notre histoire oblitérer.
Tu pars aujourd’hui vers le pays d’où l’on ne revient pas. Si tu y croises Um Nyobe, Félix Moumié, Ernest Ouandié, les véritables artisans de la réunification, dis leur que leur dessein demeure à l’état d’embryon, mais que le soleil se lève à l’horizon et que demain, peut être nous célébrerons l’unité en panthéonisant nos héros.
Cher frère, que la terre de nos ancêtres soit aussi légère que les touches de mon clavier !
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